(précédemment publié en 2011)
L’Accord de Nouméa a été signé par les deux camps indépendantiste et loyaliste et par l’Etat pour une période de 20 ans commençant en 1999, période qui pourrait être ramenée à 15 ans si les forces politiques locales en décidaient ainsi. Outre qu’il avait pour objectif de repousser, après les 10 ans d’Accord Matignon, un referendum-couperet qui aurait fait des vainqueurs et des vaincus avant que les plaies des évènements antérieurs n’aient pu se refermer, aurait pu raviver les tensions entre les deux camps et ramener l’insécurité en Nouvelle Calédonie, l’Accord de Nouméa avait surtout pour fondamentale ambition de créer les conditions pour que tout citoyen ait l’opportunité d’observer et comprendre les enjeux politiques, pour que chacun des deux camps politiques ait le temps et l’opportunité d’expliquer sa vision de l’avenir, de séduire et de convaincre, non seulement ses propres partisans, mais également les électeurs du “camp d’en-face” de la pertinence et de l’intérêt de son projet pour l’avenir.
Absence de dialogue
Nous n’avons qu’à de trop rares occasions eu l’opportunité d’entendre les leaders politiques s’ouvrir aux autres. Je crois que, jusqu’à récemment, les leaders ont surtout parlé à leurs partisans, plus préoccupés par les divisions de leur propre camp que par leur mission de rassembler une population sur leurs propositions. Souhaitons qu’à l’avenir cette véritable mission pédagogique soit désormais plus prise en compte.
Constats
Il est cependant possible aujourd’hui, à mi-parcours de la durée théorique de l’Accord de Nouméa, de tirer quelques enseignements des 3 élections provinciales qui se sont déroulées le 9 mai 1999, le 9 mai 2004 et le 10 mai 2009.
Avant d’analyser l’évolution des choix politiques des électeurs néo-calédoniens, il convient de montrer le poids électoral de chacune des trois provinces: Nord, Sud, et Iles.
Poids électoral des provinces
La province Sud représente à elle seule environ 60% de l’ensemble des électeurs de la Nouvelle Calédonie. Les provinces Nord et Iles représentent respectivement environ 25% et 15%.
|
Nord |
|
Sud |
|
Iles |
|
Total |
|
Année |
Nombre |
% |
Nombre |
% |
Nombre |
% |
Nombre |
% |
1999 |
26,129 |
24.1% |
66,372 |
61.2% |
15,921 |
14.7% |
108,422 |
100.0% |
2004 |
28,876 |
24.1% |
72,656 |
60.8% |
18,043 |
15.1% |
119,575 |
100.0% |
2009 |
32,677 |
24.0% |
83,648 |
61.5% |
19,607 |
14.4% |
135,932 |
100.0% |
Lors des trois dernières consultations provinciales le taux de participation moyen (suffrages exprimés) a été de 72,9%. Cependant, au sein de chaque province, les électeurs se sont diversement mobilisés. La province des Iles arrive en tête avec un taux moyen de participation de 76,6%, suivie de près par la province Sud avec 74,2%. Arrive ensuite la province Nord avec un taux de 67,9%.
Le clivage politique provincial
L’orientation politique de chaque province est très typée, les provinces Nord et Iles étant nettement orientées vers la solution indépendantiste – 75% en province Nord, 85% en province Iles -, la province Sud y étant opposée à 86%.
L’examen des résultats de chaque consultation par province permet de faire quelques observations. D’une manière générale, on peut dire que le clivage politique traditionnel indépendantistes-loyalistes n’a pas beaucoup évolué. Après dix ans, on peut constater que l’ambition de l’Accord de Nouméa de faire bouger les frontières politiques n’a pas atteint son but, soit que les partisans de chaque option politique n’ont pas su, significativement, convaincre leurs adversaires, soit, ce qui paraît plus vraisemblable, que chaque camp n’a nullement l’intention de changer d’opinion concernant l’avenir institutionnel de la Nouvelle Calédonie. L’examen plus détaillé de l’évolution du vote par province éclaire un peu ces propos.
Avant de le faire, je tiens à préciser que des erreurs ont pu se glisser dans l’affectation des résultats à l’une ou l’autre tendance, les appellations des listes de candidats pouvant souvent porter à confusion. Je citerais deux exemples: la Fédération des Comités de Coordination des Indépendantistes (FCCI) doit-elle être classée dans le camp indépendantiste ou loyaliste? Ses fondateurs sont issus de la mouvance indépendantiste, mais ses orientations politiques laissent à penser qu’elle pourrait également (partiellement?) être rattachée au camp loyaliste. De même avec les partis dits “océaniens” dont on ne sait plus trop où il convient de les placer. Je reconnais bien volontiers mes erreurs et serais particulièrement reconnaissant au lecteur indulgent de bien vouloir me les signaler. Il pourra à cet effet examiner mes tableaux des résultats électoraux.
A y regarder de plus près on s’aperçoit qu’il existe certaines évolutions provinciales.
– En province Nord les loyalistes ont enregistré une forte progression entre 1999 et 2004 en passant de 17,82% à 26,03% des suffrages exprimés, mais ont connu un léger repli au cours de la seconde mandature, en n’obtenant 25,01% en 2009. S’agissant de suffrages exprimés, et en présence d’une bipolarisation, les gains de l’un constitue la perte de l’autre et inversement.
– En province Sud une évolution inverse s’observe. Le camp indépendantiste a d’abord progressé, passant de 12,40% en 1999 à 16,11%% des suffrages exprimés en 2004. En revanche la seconde mandature lui a été défavorable puisque les résultats de 2009 ne lui ont accordé que 12,50%, soit pratiquement leur score de dix ans auparavant.
– Dans la province des Iles l’évolution en faveur du camp indépendantiste est sans ambiguïté, la progression est nette et même, spectaculaire. En effet la mouvance indépendantiste est passée de 80,95% en 1999 à 82,81% en 2004, et à 91,37% des suffrages exprimés en 2009. Dans cette province les loyalistes ont perdu plus de la moitié de leur électorat en dix ans.
Une forte majorité loyaliste en Nouvelle Calédonie
Ces résultats, ramenés à l’échelle de l’ensemble de la Nouvelle Calédonie, montrent cependant la très nette supériorité des partisans du maintien de la Nouvelle Calédonie au sein de la République Française. Et, contre une certaine idée reçue qui prédisait une probable évolution partielle de l’opinion vers une acceptation de l’idée de souveraineté calédonienne, cette évolution ne s’est pas produite. Les deux camps maintiennent quasiment un statu quo entre les résultats de 1999 et ceux de 2009. En effet, les partis loyalistes ont recueilli 61,64% des suffrages exprimés en 1999, 60,04% en 2004, et 61,78% en 2009, soit une très faible progression de leur électorat de 0,14% sur dix ans.
Les chiffres ci-dessus, bien qu’ils puissent être entachés de quelques erreurs, au demeurant marginales, montrent combien l’avenir institutionnel calédonien reste figé. Malgré une restriction du corps électoral sur des critères de résidence qui peuvent paraître outranciers à certains – 20 ans en 2009 – la répartition des sensibilités indépendantistes et loyaliste n’a pas varié au cours de dix dernières années. Compte tenu de l’écart de près de 24 points qui existe entre ces deux mouvances, on ne voit pas très bien ce qui pourrait faire basculer la majorité loyaliste au cours des 5 à 10 prochaines années. Les faits sont têtus.
République Fédérale Française
Peut-être est-il temps, pour les uns et pour les autres, de regarder la réalité en face, de constater que l’idée d’indépendance est un cul-de-sac politique et qu’il faut trouver des idées qui rassemblent sur un projet acceptable pour tous. C’est la raison pour laquelle je rends aujourd’hui publique “L’Utopie Réalisable” de République Fédérale Française, dont je trace le projet par ailleurs. Ce projet pourrait être le cadre institutionnel dans lequel indépendantistes et loyalistes pourraient dans l’avenir se retrouver, avec l’ensemble de l’Outre-mer.