L'exemple Fidjien

Frank Bainimarama n’est pas un dictateur

Sans doute par méconnaissance de l’Histoire réelle des Iles Fidji, nombreux sont ceux qui ont présenté le commodore Frank Bainimarama comme un dictateur. La réalité est tout autre.

**********

La population fidjienne est constituée de la population mélanésienne d’origine, d’une composante importante d’origine indienne, et de diverses autres communautés. Sur un total de 847 271 personnes, le poids démographique de chacune de ces composantes se répartit comme suit (chiffres du recensement de 2007):

  • 475 739 Fidjiens d’origine mélanésienne (56,82 %)
  • 313 798 Fidjiens d’origine indiennne (37,48 %)
  • 47 734 Fidjiens d’autres origines (5,7 %).

Situation politique fidjienne

A l’indépendance en 1970 la Constitution du pays prévoyait un corps électoral spécifique pour chacune de ces composantes.

Les premières élections générales eurent lieu en 1972. Ces élections de 1972 virent le parti de l’Alliance, parti mélanésien, remporter une large victoire grâce en particulier aux 24 % d’Indo-Fidjiens ayant voté pour ses candidats. Ce fut le temps du “Pacific Way“, la “voie pacifique” où, comme partout en Océanie, tout conflit doit trouver sa solution dans dans le palabre, ce que l’on appelle le “consensus océanien“.

Mais des dissensions de plus en plus fortes apparurent dans chacun de deux principaux camps, les Indiens reprochant à leur leader d’être trop effacé devant les Mélanésiens, lesquels reprochaient à leur tour à leur représentant d’être trop consensuel, ce qui amena Sakeasi Butadroka, l’un des principaux ministres mélanésien, à quitter le gouvernement et à créer son propre parti au slogan éminemment raciste “Fidji for the Fidjians“.

Les oppositions se radicalisèrent. Une commission de constitutionnalistes indépendants recommanda d’abandonner les collèges électoraux et d’instituer un corps électoral unique, proposition rejetée par le premier ministre. Butadroka déposa même un projet de loi proposant le rapatriement de tous les Fidjiens d’origine indienne vers leur pays d’origine, à la charge du Royaume-Uni, ex-puissance tutélaire ayant favorisé et organisé l’immigration indienne.

Premier et second coups d’Etat

La vie se poursuivit sur fond d’hostilité des deux principales communautés jusqu’aux élections générales d’avril 1987. Une coalition mélano-indienne obtint alors la majorité et de nombreux Indiens reçurent des postes ministériels. Des troubles intenses suivirent, et un jeune lieutenant, Sitiveni Rabuka, fit un premier coup d’Etat en Mai, suspendant la Constitution puis, en septembre, un second coup d’Etat l’abrogeant définitivement. Une nouvelle Constitution accordant la majorité à la représentation mélanésienne fut adoptée en 1990.

Les troubles et la mauvaise réputation du pays eurent raison de l’économie fidjienne. Une réforme constitutionnelle fut adoptée en 1997, rétablissant un peu plus d’équilibre et d’ouverture dans la représentation ethnique. Les élections de mai 1999 portèrent au pouvoir, pour la première fois dans l’Histoire du pays, un Indo-Fidjien, Mahendra Pal Chaudhry. En qualité de premier ministre, celui-ci eut la sagesse de confier de nombreux portefeuilles de son gouvernement à des Mélanésiens.

Troisième coup d’Etat

En mai 2000 un coup d’Etat réalisé par une milice armée mélanésienne dirigée par l’homme d’affaires George Speight fit irruption au Parlement et prit Chaudhry en otage pendant près de deux mois. Speight réclamait le retour d’une législation garantissant la suprématie politique des indigènes, pour qu’un Indo-Fidjien ne puisse plus accéder au poste de premier ministre. Le président démit le Premier ministre de ses fonctions.

Dans cette situation, quelques jours plus tard le chef des armées, le commodore Frank Bainimarama, prit le pouvoir, rétablit l’ordre, décrèta la loi martiale, négocia la libération des otages, et fit emprisonner le chef putschiste. En novembre 2000 Bainimarama échappa de justesse à une tentative d’assassinat par les partisans de Speight. Frank Bainimarama transmit immédiatement le pouvoir à un gouvernement de transition.

Cependant l’animosité entre communautés ne s’était pas éteinte et le nouveau gouvernement issu des élections générales de 2001 annonça qu’il allait proposer une loi d’amnistie pour les putschistes. Bainamarama fit connaître publiquement son opposition totale à une telle mesure.

Quatrième coup d’Etat

Le premier ministre déclarait qu’il fallait “garantir la suprématie des intérêts des indigènes“, pratiquait des politiques de “discrimination positive” en faveur des indigènes, et refusait d’appliquer la Constitution qui lui faisait obligation d’intégrer des membres de l’opposition dans le gouvernement. Face à ce déni de la constitution qui menait le pays vers le chaos, Bainimarama, lui-même indigène, se résolut en fin 2006 à renverser le gouvernement. Il transféra le poste de Président de la République et se fit lui-même nommer à la tête d’un gouvernement civil où les différentes communautés étaient représentées.

Fidji fut exclue du Commonwealth et du Forum des Iles du Pacifique.

La Constitution de 2013

Le processus suivi pour parvenir à une nouvelle constitution fut long et complexe, à la mode “océanienne” pourrait-on dire. Il fallait du temps pour préparer les Fidjiens à une nouvelle donne constitutionnelle.

L’esprit dans lequel la constitution a été préparée est résumé par une adresse de Bainimarama au peuple fidjien en 2009:

Concitoyens, nous aurons des élections. Toutefois, ces élections devront se tenir dans le cadre d’un système électoral véritablement démocratique. Ce qui veut dire que la voix de chaque individu doit avoir la même valeur ; vous devez avoir le droit de choisir qui vous voulez, sans être contraints par une catégorisation ethnique“.

Finalement la nouvelle constitution, conforme aux normes de la communauté internationale en matière d’égalité des citoyens, est adoptée en fin 2013. Respectant les promesses de Bainimarama, elle rompt avec la pratique communautaire des constitutions précédentes et adopte un corps électoral unique.

Lors des élections générales de septembre 2014 le peuple fidjien a plébiscité cette réforme, d’une part par la participation record de 84% des électeurs, et d’autre part par le score de près de 60% enregistré par le parti dirigé par Bainimarama.

En conséquence, conformément à la nouvelle constitution, Frank Bainimarama a été nommé premier ministre de Fiji.

Bien que la période de gestation de la dernière constitution en date fut longue, et malgré le fait qu’elle est issu d’un coup d’Etat, on peut cependant dire que Frank Bainimarama a fait œuvre démocratique. Il faut saluer cette démarche, en particulier en se souvenant que l’intéressé est lui-même d’origine mélanésienne.

Même si le processus suivi peut être critiqué, le résultat doit satisfaire tout citoyen épris de démocratie, et l’exemple fidjien doit nous inspirer, en particulier dans des archipels océaniens, en particulier en Nouvelle Calédonie, où des conditions communautaires similaires peuvent être rencontrées.

http://republiquefederalefrancaise.fr/2014/la-partition-de-la-nouvelle-caledonie/