L’Accord de Nouméa, approuvé par référendum local, a fixé comme principe, pour ce qui concerne le choix de l’avenir institutionnel de la Nouvelle Calédonie, de ne consulter lors d’un référendum d’autodétermination que les personnes qui, par leur histoire personnelle, auraient démontré un attachement, voire un enracinement dans ce territoire. Il en résulte que la qualité de “Citoyen calédonien” s’acquiert par la durée d’établissement de la personne concernée.
Cela paraît parfaitement logique et normal. L’installation durable sur un sol est en effet un critère solide pour reconnaître à quelqu’un le droit à se prononcer sur l’avenir de cette terre. C’est d’ailleurs sur la base d’un principe similaire que le droit civil reconnaît à l’occupant de bonne foi l’accession à la propriété par le jeu de la prescription acquisitive.
On peut éventuellement argumenter sur la durée retenue d’installation en Nouvelle Calédonie, qui peut apparaître à beaucoup comme excessive, mais on ne peut pas contester la légitimité du principe lui-même.
LES REGLES APPLICABLES AUX REFERENDUMS DE SORTIE DE L’ACCORD DE NOUMEA
Les règles relatives aux référendums de sortie de l’Accord de Nouméa de 1998 font référence aux règles établies pour et par l’Accord de Matignon de 1988. Aussi est-il utile et nécessaire de passer en revue les règles établies par les deux accords.
RAPPEL DES REGLES DE L’ACCORD DE MATIGNON
En application de l’Accord de Matignon (26 juin 1988) et Oudinot (20 août 1988), adoptés par référendum du 6 novembre 1988, l’objectif de la loi référendaire du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998 était de “créer les conditions dans lesquelles les populations de Nouvelle-Calédonie, éclairées sur les perspectives d’avenir qui lui sont ouvertes par le rétablissement et le maintien de la paix civile et par le développement économique, social et culturel du territoire, pourront librement choisir leur destin” (article 1er).
Selon l’article 2 de cette loi référendaire, devaient être admis à voter au référendum d’autodétermination devant être organisé entre le 1er mars et le 31 décembre 1998 les électeurs inscrits sur les listes électorales à la date de ce référendum et qui y ont leur domicile depuis le 6 novembre 1988, date du référendum d’approbation du statut de la Nouvelle Calédonie issu des Accords Matignon: “seront admis à participer à ce scrutin les électeurs inscrits sur les listes électorales du territoire à la date de cette consultation et qui y ont leur domicile depuis la date du référendum approuvant la présente loi.”
En 1998 les partenaires politiques, pour éviter un “référendum-couperet” (Jacques Lafleur), ont décidé de ne pas organiser la consultation prévue et de lui substituer un nouvel accord (Accord de Nouméa) d’une durée de 20 ans.
LES REGLES DE L’ACCORD DE NOUMEA
Processus de mise en place des règles de l’Accord de Nouméa
L’Accord de Nouméa a été signé le 5 mai 1998.
Pour mettre en place les règles issues de l’Accord de Nouméa il fallait modifier la Constitution, ce qui a été fait par la loi constitutionnelle no 98-610 du 20 juillet 1998 relative à la Nouvelle-Calédonie du Parlement réuni en Congrès, laquelle a créé les articles 76 et 77 de la Constitution.
L’Accord a été approuvé par référendum local le 8 novembre 1998 par près de 72% des électeurs calédoniens. Le vote des Calédoniens intervenant à cette date a donc pris en compte la révision constitutionnelle intervenue le 20 juillet 1998.
Sont ensuite intervenues:
- La loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle Calédonie
- La loi n° 99-210 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle Calédonie
Le corps électoral référendaire calédonien
Au sein du titre IX – “La consultation sur l’accession à la pleine souveraineté” – de la loi organique du 19 mars 1999 , c’est l’article 218 qui fixe les règles de délimitation du corps électoral référendaire calédonien. Cet article ne retient dans le périmètre de ce corps électoral que les personnes appartenant au moins à l’une des 8 catégories énumérées.
Avant de passer en revue ces différentes catégories il convient de s’intéresser au dernier alinéa de l’article qui doit s’appliquer chaque fois que, dans l’une quelconque des catégories, une durée de résidence est exigée.
“Les périodes passées en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour accomplir le service national, pour suivre des études ou une formation ou pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales ne sont pas, pour les personnes qui y étaient antérieurement domiciliées, interruptives du délai pris en considération pour apprécier la condition de domicile.”
Ce dernier alinéa décide donc expressément que, de manière générale, pour les personnes ayant démontré leur établissement en Nouvelle Calédonie à une certaine date, chaque fois qu’une durée de résidence est par la suite exigée, la continuité de cette résidence en Nouvelle Calédonie ne peut être affectée, interrompue, suspendue, ou remise en cause pour motifs d’absences pour service national, études, formation, ou pour raisons familiales, professionnelles ou médicales.
Les différentes catégories d’électeurs composant le corps électoral de sortie de l’Accord de Nouméa
“Sont admis à participer à la consultation [référendums de sortie de l’Accord de Nouméa] les électeurs inscrits sur la liste électorale à la date de celle-ci et qui remplissent l’une des conditions suivantes :”
“a) Avoir été admis à participer à la consultation du 8 novembre 1998 ;”
Cette disposition englobe tous les électeurs ayant eu le droit de vote pour le référendum d’approbation de l’Accord de Nouméa, c’est-à-dire les personnes inscrites sur les listes électorales au 8 novembre 1998 et qui étaient installées en Nouvelle Calédonie avant le 8 novembre 1988 au moins (10 ans de résidence).
“b) N’étant pas inscrits sur la liste électorale pour la consultation du 8 novembre 1998, remplir néanmoins la condition de domicile requise pour être électeur à cette consultation ;”
Cette seconde catégorie élargit le champ de la 1ère catégorie. En effet, après élimination de la condition de la catégorie précédente (a) relative à l’inscription sur les listes électorales, et conformément à l’article 76 de la constitution (“Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l’article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988″), c’est cet article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988 qui fixe la règle: “…seront admis à participer à ce scrutin les électeurs … qui y ont leur domicile depuis la date du référendum approuvant la présente loi.”
Sont donc ainsi admis à participer au scrutin d’autodétermination les électeurs qui, sans avoir été inscrits sur la liste électorale pour la consultation du 8 novembre 1998, avaient élu domicile en Nouvelle Calédonie avant le 8 novembre 1988, date du référendum d’approbation du statut issu de l’Accord Matignon.
“c) N’ayant pas pu être inscrits sur la liste électorale de la consultation du 8 novembre 1998 en raison du non-respect de la condition de domicile, justifier que leur absence était due à des raisons familiales, professionnelles ou médicales ;”
Après l’extension opérée par la 2ème catégorie (b) ci-dessus, la présente catégorie élargit également le champ de la première catégorie (a) aux personnes inscrites sur les listes électorales au 8 novembre 1998 et qui étaient installées en Nouvelle Calédonie avant le 8 novembre 1988, mais qui, au commencement de la période de 10 ans de résidence, étaient absentes de Nouvelle Calédonie pour des raisons familiales, professionnelles ou médicales.
“d) Avoir eu le statut civil coutumier ou, nés en Nouvelle-Calédonie, y avoir eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux ;”
Cette catégorie concerne, d’une part, les Kanak ayant eu le statut civil coutumier (à priori, nous semble-t-il, tous les Kanak, ou la plupart des Kanak) et, d’autre part, les personnes nées en Nouvelle Calédonie et qui y ont eu le centre de leurs intérêts matériels et moraux.
Tout élément peut être apporté pour permettre d’apprécier la validité de la revendication du “centre des intérêts matériels et moraux” en Nouvelle Calédonie: mariage ou concubinage, descendance, propriété de biens immobiliers, emploi, activité économique, investissements de toute nature, etc…
Notons au passage que le texte emploie le passé composé, “qui y ont eu”, ce qui pourrait être interprété comme admettant l’absence de nécessité d’avoir maintenu durablement et de manière permanente en Nouvelle Calédonie le centre de leurs intérêts matériels et moraux. Il s’agit là d’une prime aux natifs de Nouvelle Calédonie.
“e) Avoir l’un de leurs parents né en Nouvelle-Calédonie et y avoir le centre de leurs intérêts matériels et moraux ;”
Cette catégorie concerne les enfants majeurs
– de personnes nées en Nouvelle Calédonie
– qui, de surcroît, y ont ou auront le centre de leurs intérêts matériels et moraux au moment de la consultation référendaire considérée.
“f) Pouvoir justifier d’une durée de vingt ans de domicile continu en Nouvelle-Calédonie à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014 ;”
Pourront également voter lors des référendums d’autodétermination les personnes inscrites sur les listes électorales qui auront été résidentes de manière continue en Nouvelle Calédonie pendant 20 ans au moins à la première date possible du premier référendum, c’est-à-dire être résident calédonien depuis le 31 décembre 1994 au moins.
A priori, compte tenu des termes généraux du dernier alinéa de l’article, les absences justifiées pour service national, études, formation, ou pour raisons familiales, professionnelles ou médicales ne sont pas susceptibles d’affecter le caractère continu de la résidence de 20 ans.
“g) Être nés avant le 1er janvier 1989 et avoir eu son domicile en Nouvelle-Calédonie de 1988 à 1998 ;”
Catégorie un peu surprenante car elle semble être bien moins exigeante que les autres: en effet, elle ne requiert, pour les personnes nées avant le 1er janvier 1989, qu’une résidence continue en Nouvelle Calédonie de 1988 à 1998.
“h) Être nés à compter du 1er janvier 1989 et avoir atteint l’âge de la majorité à la date de la consultation et avoir eu un de leurs parents qui satisfaisait aux conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998.”
Cette dernière catégorie concerne les personnes nées à compter du 1er janvier 1989 en Nouvelle Calédonie ou en dehors de la Nouvelle Calédonie, et dont l’un des parents était admis à voter au référendum d’approbation de l’Accord de Nouméa le 8 novembre 1998.
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Tout laisse à penser que l’inscription dans le corps électoral référendaire calédonien doit se faire référendum par référendum. Rien, en effet, n’interdit d’imaginer, rien ne s’oppose au fait qu’un électeur qui ne remplirait pas les conditions pour être inscrit au premier référendum d’autodétermination ne puisse pas éventuellement remplir les conditions pour être en droit de voter au(x) suivant(s). Cela serait le cas, naturellement, pour un jeune devenant majeur entre 2 référendums. Cela pourrait également être le cas pour une personne de la 5ème catégorie (e) qui viendrait à démontrer qu’elle a dorénavant en Nouvelle Calédonie le centre de ses intérêts matériels et moraux.