Le projet “République Fédérale Française” a, à l’origine, été pensé pour répondre à la situation calédonienne où s’affrontent les choix entre le maintien au sein de la République Française des loyalistes, et l’accession à la pleine souveraineté des indépendantistes.
Les statistiques des élections provinciales en Nouvelle Calédonie sur les quinze dernières années montrent que les loyalistes y sont indiscutablement majoritaires à près de 62%. Il est important de rappeler que ces statistiques se rapportent à un corps électoral extrêmement restreint, très favorable aux indépendantistes.
Dans toute démocratie la règle majoritaire prévaut, et toutes les parties prenantes en acceptent le principe. Les organisations politiques que le scrutin a prouvées minoritaires acceptent de se plier à la majorité des urnes. Le problème est qu’en Nouvelle Calédonie le vote indépendantiste est un vote ethnique auquel n’adhèrent, presque exclusivement, que les Kanak. Or cette population ne semble pas prête d’accepter un vote défavorable à leur objectif d’indépendance lors des référendums d’autodétermination.
Rapprocher ces points de vue si diamétralement opposés est donc une absolue nécessité si l’on veut éviter, soit le chaos, soit la partition de la Nouvelle Calédonie, mais paraît toutefois, a priori, relever de la quadrature du cercle.
Aussi, pour tenter de trouver une solution qui puisse éventuellement convenir aux uns et aux autres, faut-il s’extraire de la gangue calédonienne, se libérer des a priori, des convictions, des certitudes, s’élever au-dessus des contingences locales. Ce faisant, il faut prendre garde à ne pas se déconnecter de la réalité et ne pas construire “une usine à gaz”.
Après l’avoir longuement creusé, le sujet, s’il est toujours, un peu, “politiquement incorrect” et “agitateur d’idées”, a perdu son caractère utopique qu’il semblait présenter au tout début.
1 – Le rapprochement des positions antagonistes
Longtemps l’autonomie a fait figure d’épouvantail en Nouvelle Calédonie. C’était l’antichambre de l’indépendance dont une très grande majorité de Calédoniens ne voulait pas. Aujourd’hui nous sommes dans un régime d’autonomie poussé à l’extrême. Les transferts de compétences, tout bien considéré pas toujours dans l’intérêt bien compris des Calédoniens, ont atteint la limite du régalien. Les lois de pays sont de nature législative, ce qui est en principe réservé au parlement national. Nous partageons même avec l’État la compétence régalienne internationale, la Nouvelle Calédonie pouvant nommer ses représentants auprès de nations indépendantes de la région. Tout cela était impensable il y a quelques décennies.
Cependant les loyalistes considèrent qu’il existe une ligne rouge à ne pas franchir. Cette ligne rouge, c’est celle qui sépare l’appartenance de la Nouvelle Calédonie à la République Française de son accession à la pleine souveraineté internationale. La majorité calédonienne n’en veut pas, toutes ethnies confondues. Elle le répète scrutin après scrutin depuis toujours, et en particulier depuis 25 ans à partir de la mise en place de l’Accord Matignon, puis de l’Accord de Nouméa.
Face à cette volonté de près de 62% de la population de rester Français, les indépendantistes sont au contraire déterminés à franchir la ligne rouge et à accéder à l’indépendance de la Nouvelle Calédonie. Mais les raisons qui les poussent à vouloir concrétiser ce rêve, à bien les analyser, ne sont ni convaincantes ni démocratiques.
Une indépendance n’est envisageable que si elle est économiquement viable. Or, le niveau de vie actuel est assuré par un haut niveau des transferts financiers de la part de l’Etat. Sans ces transferts, mutatis mutandi, le niveau de vie moyen de la population serait amputé de manière très importante. Les indépendantistes ne peuvent pas compter sur le départ des électeurs provinciaux loyalistes, principalement non kanak, qui sont des gens, des familles installés depuis plus de 20 ans sur cette terre.
La poursuite de leur objectif par les indépendantistes est sous-tendue par leur désir de voir leur identité reconnue (voir article sur le Festival Melanesia 2000) et de retrouver de la dignité. Honnêtement, on ne peut les en blâmer. Cependant l’accession à l’indépendance n’est pas l’unique moyen de parvenir au résultat recherché, pour au moins deux raisons principales:
- La situation n’est pas aussi sombre que celle l’on tente de dépeindre. Les indépendantistes honnêtes reconnaissent que beaucoup de choses ont déjà été faites dans le sens de la reconnaissance identitaire et de la dignité, qu’il s’agisse de la récupération de terres coutumières et du développement économique, de la mise en valeur de la culture, de la promotion des hommes, etc…
- Il reste, certes, de grands progrès à faire dans nombre des domaines, notamment en direction de la jeunesse kanak laissée au bord du chemin. L’accession à l’indépendance ne changera rien à cette situation, bien au contraire, alors que la solidarité nationale de la République serait certainement de nature à puissamment soutenir une politique d’aide au développement et à l’insertion de ces jeunes.
Nous avons vu, dans nos deux articles précédents “L’absurdité indépendantiste en Nouvelle Calédonie” et “La partition de la Nouvelle Calédonie” que, d’une part il n’y avait pas de majorité pour consentir à l’indépendance et, d’autre part, que le refus prévisible du verdict des urnes par les indépendantistes les plus durs conduirait inévitablement à la partition de la Nouvelle Calédonie dont tous, loyalistes et indépendantistes disent cependant ne pas vouloir.
2 – Trouver une solution acceptable par tous
Il faut pourtant trouver une solution à cet antagonisme. Quel type d’organisation administrative et politique pourrait alors rapprocher les points de vue?
Au risque d’être un peu caricatural, on peut décrire la situation comme suit:
- Les loyalistes ont pris conscience et intégré le fait que la Nouvelle Calédonie a une histoire, une identité singulière par rapport à la Mère Patrie, la France métropolitaine, mais également par rapport aux autres entités ultramarines françaises. Ils ont accepté, et acceptent que la Nouvelle Calédonie bénéficie de l’autonomie la plus large pour administrer et mettre en valeur son identité et son développement. Mais ils veulent que cela se fasse au sein de la République Française à laquelle ils proclament haut et fort appartenir. Ils sont donc prêts, et l’ont déjà prouvé, à examiner toute solution institutionnelle qui respecterait leurs souhaits.
- Les indépendantistes veulent une émancipation qui reconnaisse encore plus leur identité et qui rétablisse la dignité qu’ils estiment avoir perdue. Ils pensent que l’accession à l’indépendance, avec ce que cela emporte en termes de statut international, est le moyen de parvenir à ce résultat.
A supposer que les indépendantistes soient ouverts à la discussion, ce qui malheureusement ne semble pas être le cas pour le moment, il paraît possible de trouver un moyen terme aux deux positions qui paraissent si antagonistes et irréductibles.
Il s’agirait donc de trouver pour la Nouvelle Calédonie un statut d’État assorti de son maintien dans la République Française.
Cette courte définition correspond à la définition de l’État fédéré au sein d’un État fédéral communément admise et pratiquée à travers le monde.
3 – Le projet République Fédérale Française
Il y a pratiquement autant de variétés dans le degré d’autonomie des États fédérés qu’il y a d’États fédéraux. Il y a un monde entre la situation des États fédérés comoriens, mexicains, indiens, brésiliens, russes, américains, australiens, canadiens, les Länders allemands, les cantons suisses, etc… C’est donc avec une très grande liberté que l’on peut imaginer les rapports et la répartition des compétences entre le niveau fédéré et le niveau fédéral.
Si une telle solution était retenue pour la Nouvelle Calédonie, et même si la Nouvelle Calédonie était son seul Etat fédéré, cela impliquerait qu’elle serait fédérée à une République FEDERALE Française. Une telle évolution devrait nécessairement être actée par la Constitution nationale.
Cependant, la “fédéralité” ainsi accordée à la Nouvelle Calédonie devrait pouvoir être également accordée aux autres entités ultramarines française, Corse y compris, au libre choix de chacune d’entre elles. Il doit cependant être clair que cette “fédéralité” ne serait ouverte qu’aux seuls territoires ultramarins en raison de leur insularité, isolement, identité, culture et histoire propres. En aucun cas cela ne pourrait s’appliquer à des territoires faisant actuellement partie de la France continentale hexagonale.
3.1 – Les objections
Les objections que cette proposition ne manquera pas de soulever reposent sur l’affirmation que la nation française a une tradition unitaire, et que sa forme actuelle est marquée par l’indivisibilité, ce qu’affirme l’article 1er de la Constitution:
“La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale….”
A ces objections, on peut faire les réponses très rapides suivantes:
La “tradition unitaire” de la France est une fiction, une idée reçue:
⦁ La France a été loin d’être unitaire depuis ses origines jusqu’à la monarchie absolue de Louis XIV.
⦁ Le caractère unitaire de la nation décidé pendant la Révolution de 1789 a résulté de la lutte fratricide entre Jacobins favorables à l’unitarisme et Girondins favorables au fédéralisme. Les Jacobins ont eu beau jeu de faire valoir que le salut de la Patrie reposait dans le rassemblement unitaire de la nation, et non dans le fédéralisme à cause du péril dans lequel se trouvait la nation, en guerre contre toutes les monarchies européennes coalisées. Historiquement ce sont les jacobins qui l’ont finalement emporté en envoyant les 27 députés girondins à l’échafaud. Le choix du régime de la République a donc été circonstanciel.
⦁ Le concept de République Fédérale Française est ensuite réapparu sous la IVe République et à l’origine de la Ve République.
- En effet, en 1955 une commission parlementaire proposa l’instauration d’une République Fédérale Française en faveur de l’outre-mer.
- Un groupe de parlementaires de l’Outre-mer emmené par Léopold Sédar Senghor déposait le 7 mars 1956 devant le Parlement français une proposition de révision constitutionnelle visant à transformer la République Française en une République Fédérale Française, toujours en faveur de l’outre-mer.
- Deux ans plus tard, courant 1958, l’option d’États fédérés d’outre-mer constituait une alternative pour les rédacteurs de la Constitution de la Ve République. L’avant-projet du gouvernement prévoyait l’institution d’un État fédéral. Finalement la Constitution, à part les départements et les territoires d’outre-mer, a prévu de regrouper toutes les autres possessions françaises au sein d’une “Communauté”.
On s’aperçoit qu’en fait, dans la période contemporaine, l’option fédérale a toujours été présente lors des choix importants de notre pays. En outre, depuis que l’Accord de Nouméa a été constitutionnalisé, la République est devenue objectivement fédérale, une République fédérale qui ne dit pas son nom.
3.2 – Les rapprochements
De nombreux rapprochements ont déjà été faits à propos de la relation que la Nouvelle Calédonie elle-même pourrait avoir avec le statut d’État fédéré:
- Dès l’origine de l’Accord de Nouméa, lors de la réunion du Parlement en congrès pour adopter la modification de la Constitution nécessaire à sa mise en œuvre, le Sénateur Jean-Marie Girault déclarait à la tribune:
“L’objectif recherché, c’est le rapprochement de populations et d’ethnies diverses. Celles-ci y consentent et veulent le prendre en charge. Certes, on se rapproche ainsi d’une certaine forme de fédéralisme, mais qui s’en plaindrait s’il est bien vécu ?”
- Lors de son intervention au colloque “Destin des collectivités politiques d’Océanie” le 10 mars 2011à l’IRD à Nouméa, Alain Christnacht imaginait trois scenarii de sortie de l’Accord de Nouméa. Le second de ces scenarii était:
“Un accord est obtenu sur une solution dans la République, allant au-delà de l’Accord de Nouméa, définissant une citoyenneté stable et laissant à la Nouvelle-Calédonie un large pouvoir d’auto-organisation. On devra alors chercher les limites absolues de l’autonomie, quelque part du côté de la Catalogne ou de certains États américains”.
Or les modèles de référence que se choisit Alain Christnacht sont tous des Etats fédéraux !
- Dans sa communication “L’idée fédérale en Nouvelle-Calédonie depuis les accords Matignon” au colloque du 20ème anniversaire des Accords Matignon – Sénat, 25 et 26 avril 2008, le professeur Jean-Yves Faberon exposait:
“A la fin de l’accord de Nouméa, l’Etat aura rétrocédé toutes les compétences à la Nouvelle-Calédonie sauf cinq compétences régaliennes : justice, ordre public, défense, monnaie et affaires étrangères. Précisons de plus que la Nouvelle-Calédonie y participe à certains égards. Cela fait qu’alors, sans être en bonne et due forme un État, elle en aura les compétences… à l’exception des attributs de souveraineté pleine et entière, les compétences régaliennes : ce n’est rien d’autre que le schéma fédéral !”
La solution d’un État de Nouvelle-Calédonie membre de la République française apparaît dès lors comme une voie fédérale propre à faire consensus entre indépendantistes et non indépendantistes de bonne volonté.”
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Enfin, le rapport “Réflexions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle Calédonie” de Messieurs Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien identifie et explore 4 quatre principales voies de sortie de l’Accord de Nouméa. La troisième de ces voies est “L’autonomie étendue” qui est, purement et simplement, la voie d’une République Fédérale Française (pp. 57-58 du rapport):
“Tout ceci pour souligner que, dans l’hypothèse où la Nouvelle Calédonie s’orienterait vers cette perspective d’une autonomie étendue, le partage de toutes les compétences devrait sans doute être discuté à nouveau sans nécessairement que pèse la contrainte de cadres théoriques dépassés comme celui des compétences dites régaliennes. Dans le cadre d’une telle discussion, la question du partage des compétences serait évidemment centrale, comme elle l’est toujours dans les États fédéraux.
… Dans le cas de la Nouvelle Calédonie, si cette voie était empruntée, le rôle du Conseil constitutionnel comme régulateur des compétences respectives de la République et de la Nouvelle Calédonie, par hypothèse, entité fédérée, devrait être explicitement défini.”
3.3 – Intérêts du projet République Fédérale Française
Nous voudrions terminer ce fort long article sur une présentation sommaire des perspectives qu’offrirait la transition vers le statut d’État fédéré.
En premier lieu l’adoption du statut d’État fédéré de la Nouvelle Calédonie purgerait définitivement les incertitudes et hypothèques sur l’avenir. Cela assainirait les perspectives des citoyens et des investisseurs.
Il s’agirait alors de nous reconstruire, de reconstruire la société calédonienne sur des bases renouvelées, où chacun aura définitivement toute sa place. Cela passera par un nécessaire examen sincère des rapports que nous entretenons les uns avec les autres. Une refondation de nos rapports culturels et humains. Une sorte de psychothérapie collective, une remise en cause communautaire où chaque composante qui a fait l’histoire du pays aura le droit à la parole. Si nous connaissons le processus individuel, nous n’avons pas la recette d’une telle démarche au niveau collectif.
L’avenir, dégagé des traditionnelles hypothèques politiques, serait prometteur. La Nouvelle Calédonie pourrait alors devenir une terre de développement pour un certain nombre d’industries et de services métropolitains et européens en direction des pays de la zone Pacifique, d’Asie et des Amériques. La Nouvelle Calédonie, qui serait alors classée, non plus dans la catégorie de l’Union Européenne des PTOM (Pays et Territoires d’Outre-Mer), mais dans celle des RUP (Régions Ultra Périphériques), en conservant le choix des activités qu’elle souhaite privilégier, pourrait alors connaître un formidable développement économique et humain respectueux de l’environnement.
4 – Soutien au projet République Fédérale Française
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“République Fédérale Française, l’avenir de la République Française“