Organisation "fédérale" de la France de l'Ancien Régime

4 août 1789: la fin de l’organisation “fédérale” de la France de l’Ancien Régime

Il faut le reconnaître, le titre de cet article est un peu provocateur.

Posons d’abord la différence entre État unitaire et État fédéral:

Un État est dit unitaire lorsque tous les citoyens sont soumis au même et unique pouvoir. C’est la forme la plus répandue d’État dans le monde. En général, l’État unitaire connaît des divisions territoriales, il existe des relais entre la population et le pouvoir central.

Il s’oppose conceptuellement à l’État fédéral, composé d’États fédérés, où la souveraineté est partagée entre l’État fédéral et les États fédérés.

Un État unitaire peut être centralisé, décentralisé ou régionalisé.” (Wikipédia)

Il existe 25 États fédéraux dans le monde, au rang desquels on compte un certain nombre des plus grandes et des plus puissantes nations, comme les Etats-Unis d’Amérique, le Canada, le Brésil, le Royaume-Unis (notre classement personnel), l’Allemagne, l’Espagne, la Suisse, la Russie, l’Inde, ou encore, plus proche de nous, l’Australie.

Vraisemblablement, près de la moitié de la population mondiale vit dans des pays à organisation fédérale.

Une très grande majorité de Français, y compris les plus érudits, croient et affirment “mordicus” que la France est, de tradition, un État unitaire, et refusent l’idée que la France ait pu ou puisse prendre une forme d’organisation fédérale.

Les personnes qui pensent cela doivent cependant répondre à la question: “A quelle tradition font-ils référence ?” La France est un État millénaire.

Les historiens français identifient 4 grandes périodes historiques:

  • L’Antiquité: de 3000 av. JC à 472 ap. JC (chute de l’Empire romain);
  • Le Moyen Age: de 472 à 1492 (découverte de l’Amérique)
  • Les Temps Modernes: de 1492 à 1789 (Révolution Française)
  • L’Époque Contemporaine: de 1789 à nos jours

A quelle date peut-on faire commencer l’histoire de France ? A Clovis, roi des Francs Saliens, à partir de son mariage en 492 ? A Charlemagne, fils de Pépin le Bref, issu d’une seconde dynastie franque, à partir de son sacre comme Empereur en l’An 800 ? A partir de 1190 environ, quand le nom de “France” fut la première fois employé ?

Si l’on retient Charlemagne, cela fait mille ans avant la Révolution de 1789, mille années d’histoire et de pouvoirs monarchiques.

Veut-on, autrement, faire débuter la “tradition” politique française à la Révolution de 1789, et en particulier au 4 août 1789, date de l’abolition des privilèges, mais qui n’est pas vraiment la fin du pouvoir monarchique en France puisque la France a connu ensuite, tour à tour, le 1er Empire napoléonien, le rétablissement de la monarchie, et enfin le 2nd Empire napoléonien ?

On sent bien que les fanatiques de la thèse unitaire ne voudraient prendre en compte que l’histoire républicaine de la France, commençant avec l’avènement de la IIIe République en 1870, avec son avatar calédonien, laquelle n’accumulerait alors que 150 ans d’histoire, c’est-à-dire 12% de l’existence de la France ?

Serait-ce donc cela, la “tradition politique française” ? 150 ans sur plus de 1200 ans d’histoire ? Un peu mince, non ? On ne peut pas saucissonner l’histoire de France et n’en retenir qu’un petit bout en soutien à une thèse partisane. Notre opinion est que, lorsque l’on parle de “tradition politique française“, l’honnêteté intellectuelle commande de considérer et de prendre en compte l’ensemble de ce qui a forgé notre histoire et notre peuple.

Aussi, ce 4 août 2018, voudrions-nous rappeler et célébrer l’anniversaire de la réunion de l’Assemblée Constituante de la nuit du 4 août 1789, acte fondateur qui a non seulement instauré l’égalité des citoyens français (ce que l’on sait généralement), mais qui a également, ce que l’on sait moins, mis un terme au quasi-fédéralisme de l’organisation territoriale française sous l’Ancien Régime.

Avant la Révolution, la France était constituée de circonscriptions territoriales issues de l’histoire, de la géographie et du peuplement qui étaient différentes selon les différents pouvoirs qui s’y exerçaient, avec des catégories différentes comme métropoles, provinces, diocèses, duchés, baronnies, gouvernements, États, élections, généralités, intendances, parlements, pays, bailliages, sénéchaussées, etc…

L’Assemblée constituante de 1789, après avoir aboli au cours de la nuit du 4 août tous les droits et les usages particuliers aux différentes régions (que l’on nommait aussi “privilèges” comme ceux des classes, noblesse et clergé), décida d’instituer un découpage uniforme du territoire, les départements.

Le 4 août 1789 est une date historique célèbre car c’est au cours de la nuit du 4 au 5 août que l’Assemblée Nationale Constituante a voté la suppression des privilèges de l’Ancien Régime. Débutée le 4 août 1789 à six heures du soir, elle se prolonge après minuit, jusqu’à deux heures du matin.

C’est un événement fondamental de la Révolution française, puisque, au cours de la séance qui se tenait alors, l’Assemblée Constituante met fin au système féodo-vassalique et à l’organisation territoriale qui en découlait.

Voici un extrait du rapport qu’en fit l’historien Jules Michelet (Histoire de Révolution française, Flammarion, 1897-1898) concernant les territoires:

… Après les privilèges des classes, vinrent ceux des provinces. Celles qu’on appelait Pays d’État, qui avaient des privilèges à elles, des avantages divers pour les libertés, pour l’impôt, rougirent de leur égoïsme, elles voulurent être France, quoi qu’il pût en coûter à leur intérêt personnel, à leurs vieux et bons souvenirs. Le Dauphiné, dès 1788 … , l’avait offert magnanimement pour lui-même et conseillé aux autres provinces. Il renouvela cette offre. Les plus obstinés, les Bretons, quoique liés par leurs mandats, liés par les anciens traités de leur province avec la France, n’en manifestèrent pas moins le désir de se réunir. La Provence en dit autant, puis la Bourgogne et la Bresse, la Normandie, le Poitou, l’Auvergne, l’Artois. La Lorraine, en termes touchants, dit qu’elle ne regretterait pas la domination de ses souverains adorés qui furent pères du peuple, si elle avait le bonheur de se réunir à ses frères, d’entrer avec eux dans cette maison maternelle de la France, dans cette immense et glorieuse famille ! Puis ce fut le tour des villes.

Les décrets du 4 août sont définitivement rédigés le 11 août. Louis XVI n’accorde sa sanction à ces décrets que contraint et forcé, le 5 octobre 1789. Ainsi disparaissent les privilèges des ecclésiastiques, des nobles, des corporations, des villes, des fiefs et des provinces.

Nous avons donc présenté et retracé très brièvement ci-dessous les rapports qui, dans l’Ancien Régime, rattachaient par des liens quasi-fédéraux un certain nombre d’entités territoriales à la Couronne de France.

Le terme “apanage” se rapporte à un territoire appartenant à la Couronne, remis par le souverain à un membre de sa famille.

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Dauphiné: ancien État, partie du Saint-Empire romain germanique, du XIe siècle jusqu’à son rattachement en 1349 au royaume de France, où elle devient Province. Sous l’autorité française et jusqu’à la Révolution de 1789, le Dauphiné constitue l’apanage du fils aîné du roi de France qui prend, dès sa naissance, le titre de “Dauphin”.

Provence: Au Moyen Âge, la Provence est un marquisat, un comté et un royaume. A la suite d’une histoire complexe, le testament du Comte Charles III, qui institue le roi de France Louis XI comme légataire universel, est entériné et l’union de la Provence et de la France est consacrée “comme un principal à un autre principal (…) sans que à la couronne [de France] comté et pays de Provence ne soient subalternez“. Accumulant les titres royaux …, les comtes se font appeler “Roi“, dont le célèbre roi René, de la seconde maison capétienne d’Anjou.

Bourgogne: le premier duc de Bourgogne est titré ainsi vers 918, un des six pairs laïcs primitifs chargés d’élire les électeurs primitifs à la royauté à l’époque où la primogéniture n’est pas de règle, et assurent la dévolution de la couronne selon les lois fondamentales du royaume, ainsi que le choix de la régence en cas de minorité. Cette dignité fera du duc de Bourgogne, tout au long de l’Histoire de France, un personnage incontournable qui traitait fréquemment d’égal à égal avec le roi.

Bresse: baillage du duché de Savoie jusqu’au 17 janvier 1601, date à laquelle elle est rattachée au royaume de France

Normandie: duché important du royaume de France. Son histoire commence en 911 quand le chef viking Rollon conclut un accord avec le carolingien Charles le Simple aux termes duquel le roi lui en remet la garde en échange d’un serment de vassalité. Cet accord, qui enlève pourtant pratiquement toute influence directe du roi dans le duché en faisant de “l’Échiquier de Normandie” une cour souveraine, permet cependant de protéger l’estuaire de la Seine et Paris des incursions scandinaves fréquentes.

Le duc de Normandie, Guillaume le Conquérant, envahit l’Angleterre et vainquit l’armée anglaise à Hastings le 14 octobre 1066. Devenu roi d’Angleterre, Guillaume reste duc de Normandie, et à ce titre vassal du roi de France.

Bien qu’en 1204 le roi de France Philippe Auguste ait envahi le duché et l’ait intégré au domaine royal, le duché et ses habitants conservent une grande autonomie et de multiples privilèges, notamment son propre Parlement, cela jusqu’au 4 août 1789.

Poitou: le comté de Poitou est un ancien comté du royaume de France, créé en 778 par Charlemagne. Soumis à la suzeraineté du royaume de France, il s’en éloigne peu à peu par son appartenance à l’empire Plantagenêt. Confisqué en 1202 par Philippe II, le comté est rattaché à la maison de France et n’est plus donné qu’en apanage.

Jusqu’à la fin du Moyen Âge, la noblesse poitevine participa à tous les mouvements de contestation du pouvoir central. La région s’étant ralliée au protestantisme au XVIe siècle, elle fut durement touchée par les guerres de religion et donna d’importants contingents de colons pour la Nouvelle-France au Québec.

Auvergne: c’est l’une des plus anciennes régions de France. A la fin du Xe siècle le vicomte de Clermont et d’Auvergne se proclame comte d’Auvergne et crée la dynastie comtale héréditaire. Les comtes d’Auvergne s’affranchissent de plus en plus de leurs suzerains directs. À mesure que leur autonomie s’affirme, l’Auvergne s’intègre progressivement au royaume de France. Cette région constitue un haut lieu de la chrétienté au moyen-âge.

En 1212 le roi de France Philippe-Auguste dépouille le comte de presque tout son territoire. Les territoires confisqués sont annexés au domaine royal.

Bretagne: Royaume, puis duché, existant depuis le IXe siècle, la Bretagne a connu une histoire riche, et des alliances habiles avec le royaume de France et le royaume d’Angleterre, au gré de mariages avec des princesses des noblesses respectives. Au XVe siècle le Duché de Bretagne est un Etat indépendant, jusqu’à ce qu’en décembre 1491, Charles VIII, roi de France, épouse Anne de Bretagne. Le roi de France affermit alors son autorité sur la Bretagne. L’union entre le duché et le royaume est réglée par une série de traités qui régiront leurs rapports jusqu’à la Révolution Française.

La Bretagne est, sous l’Ancien Régime, le type même de territoire uni au Royaume de France (nous dirions aujourd’hui “l’État français“) par un lien de type fédéral.

Aquitaine: L’Aquitaine est d’abord un royaume que les successeurs de Charlemagne cèdent à différentes époques à leur progéniture. Le royaume d’Aquitaine est formé de 2 duchés, le duché de Gascogne et le duché d’Aquitaine (plus tard Guyenne). Ces 2 duchés se réunissent en 1058.

La reine Aliénor d’Aquitaine épouse en 1152 le duc de Normandie, qui devint en 1154 roi d’Angleterre, ce qui fit de fait de l’Aquitaine une possession de la couronne britannique. Cependant en 1329, le roi Édouard III d’Angleterre rend hommage de l’Aquitaine au roi de France Philippe de Valois, illustrant ainsi la dépendance quasi-fédérale du royaume d’Aquitaine envers le royaume de France.

La France perd l’Aquitaine en 1360 au traité de Brétigny, puis la récupère en 1453. Louis XI remet le duché en apanage à son frère Charles de Valois en 1469. Le duché revient ensuite à la Couronne jusqu’à la Révolution.

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Le territoire de la France de l’Ancien Régime a été à géométrie variable au gré des accords ou mariages princiers, des ambitions royales ou des velléités d’autonomie des vassaux, cependant toujours fondés sur un partage de la souveraineté des territoires, et avec en toile de fond une progression, lente et un peu erratique, de l’affirmation du pouvoir royal.

Il nous semble que, pour classer ce type d’organisation, même si elle était mouvante, les constitutionnalistes devraient la rapprocher plus d’un État fédéral que d’un État unitaire.

Une majorité de nos concitoyens voient la France comme un État définitivement unitaire. Ils en sont d’autant plus incités que la Constitution, dans son article 1er, alinéa 1, pose le principe que “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale“, disposition cependant éminemment modifiable si le peuple en décidait ainsi. Mais ils sont en outre particulièrement convaincus par les zélotes unitaristes qui ne cessent de véhiculer des contre-vérités.

Cette célébration prend un sens particulier à 3 mois, exactement jour pour jour, du référendum d’autodétermination de la Nouvelle Calédonie.  En effet, la Nouvelle Calédonie est particulièrement concernée par ce qui a été exposé ci-dessus parce qu’une solution, peut-être la seule solution de sortie de l’Accord de Nouméa, durable et acceptable par les loyalistes et les indépendantistes, est la transformation du statut de la Nouvelle Calédonie en statut d’État fédéré, ou comme disent certains plus nuancés, “de type fédéré“. Pour en avoir une illustration, pensez par exemple à des États comme le Queensland, le Victoria ou le New South Wales, États fédérés au sein du Commonwealth (fédération) australien.

A quand une République Fédérale Française accueillant des territoires ultramarins sous statut d’États fédérés ?

En tout état de cause, sur la question de la vraie nature de l’organisation politique sous l’Ancien Régime, voilà un beau sujet de traité ou de thèse de doctorat d’histoire ou de droit constitutionnel.

Ah, si j’avais le temps !