Au début on a tous pensé que c’était un canular, bien qu’on ait été un peu surpris. En effet, Jacques (*), avec son air bougon renfrogné habituel, ne fait pas vraiment dans la blague de potache: Jacques a dit qu’il voulait transformer l’aérodrome de Wanaham à Lifou en “aéroport international” !
Mais voilà que le Jacques, dans son discours de politique générale présidentiel devant l’assemblée de province, a enfoncé le clou. Si, si, on veut avoir notre aéroport international. Mazette ! Mais encore là, on n’y croyait pas vraiment. Ça devait être une manœuvre pour obtenir quelque chose de quelqu’un. Mais il y avait un tel accent de sincérité que l’on s’est dit que ce n’était peut-être pas une blague, et qu’il semblait vraiment y croire. Alors on a commencé à comprendre qu’il parlait sérieusement, que ce n’était pas une plaisanterie.
Cela a d’ailleurs été confirmé quelques jours plus tard par l’annonce officielle de la compagnie aérienne de la Province des Iles Loyauté selon laquelle Air Loyauté et Airbus auraient entamé des discussions sur le choix d’un appareil adapté, type Airbus A220. Il est envisagé des vols au départ de Nouméa – La Tontouta puis de Lifou-Wanaham, vers des destinations comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Vanuatu, Wallis et Futuna, Tahiti ou encore l’Indonésie… Wanaham – Sydney ??? Wanaham – Auckland ??? Wanaham – Denpasar ??? On rêve !
Alors on a envie de dire qu’il faudrait qu’il y ait quelqu’un qui aille expliquer à Jacques que “ça va être difficile” parce que:
- le territoire est déjà équipé d’un aéroport international à La Tontouta et qu’un seul équipement de ce type pour une population de 260 000 personnes est plus que suffisant;
- les Iles Loyauté ne sont pas une destination touristique de premier plan, et qu’on ne voit pas comment ils arriveront à remplir leurs avions;
- on ne voit pas qui va payer les sommes colossales pour réaliser cette infrastructure, et on se doute bien que, dans l’esprit de Jacques, ce ne sera pas la province;
- on sait que pour faire fonctionner une telle structure il faut du personnel extrêmement qualifié pour la maintenance et le contrôle du trafic aérien et, en particulier, on ne voit pas très bien des ICNAs (Ingénieurs du Contrôle de la Navigation Aérienne) aller en poste dans le “placard” loyaltien; ils savent déjà comment sont traités les personnels médicaux qui pourtant rendent directement service à la population;
- un Airbus A220, ça ne coûte pas le prix d’un Toyota Hilux bâché (!), et qu’il faudrait toutes sortes de personnels qualifiés pour son entretien;
- cette initiative n’arrangerait pas les affaires de la compagnie calédonienne Aircal International qui ne survit que parce qu’elle est sous perfusion financière de la Nouvelle Calédonie, et que les contribuables calédoniens ne sont nullement prêts à couvrir un doublement du déficit.
On pense donc qu’il faut être absolument stupide pour avoir imaginé un plan pareil. Et puis, après avoir tournicoté tout cela dans la tête, on réalise qu’il faudrait être demeuré pour sérieusement croire à ce plan, et comme on a le plus grand respect pour ledit Jacques, on commence à comprendre ce qui l’anime…
En effet, qu’est-ce qui aurait pu pousser notre Jacques à avancer une telle ineptie ?
Il faut alors faire un saut intellectuel en arrière, ou en hauteur, comme on voudra.
Le Jacques, comme d’autres Loyaltiens, anticipe parfaitement l’après-référendum. Il sait, comme de très nombreux leaders politiques, comme à peu près tout le monde d’ailleurs en Calédonie, que les indépendantistes ont déjà perdu les 3 référendums. Ce qui est incertain, c’est ce qui se passera après: énième accord, fédéralisation de la Nouvelle Calédonie au sein de la République Française…
On sait en tous cas (il faudrait peut-être l’expliquer à Daniel Goa) que le Gouvernement français, même s’il était tenté de le faire, ne pourra pas accorder l’indépendance comme cela, pour 2 raisons principales:
- l’article 53 al.3 de la Constitution française l’interdit:
“Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées.”
Or les référendums de l’Accord de Nouméa jouent ce rôle de consultations des populations intéressées.
- Les indépendantistes, qui se sont magistralement piégés tout seuls, ont demandé que l’ONU se porte garante de la sincérité des scrutins référendaires, ce qui a déjà été le cas pour le premier référendum. En conséquence, l’échec indépendantiste aux 3 référendums sera acté et ne pourra être soutenu par l’organisation internationale dont le principe fondateur et la règle sont la primauté démocratique.
Au surplus, ajoutons qu’au sein du Pacifique les Iles Fidji ne pourront aucunement soutenir la revendication d’indépendance minoritaire kanak, diamétralement opposée à ce qu’ils ont fait chez eux.
Si l’on suit une logique qui consiste à dire que les indépendantistes n’accepteront pas le verdict des urnes, et si l’on considère que cette forte minorité ne pourra pas accepter de vivre sous un régime honni, alors on en arrive à la conclusion logique de la nécessité de la partition de la Nouvelle Calédonie. Il semble que Jacques penche de ce côté-là.
Disons tout de go que la cession de territoire à une future nation Kanaky devra correspondre au poids de l’électorat indépendantiste. Pour schématiser, 40% d’électeurs indépendantistes vaudront 40% de territoire cédé à la nouvelle nation. Comme on sait que la province des Iles Loyauté vote indépendantiste à 90%, les 40% ci-dessus incluront bien entendu l’archipel des Loyauté, ce qui repoussera vers le Nord l’actuelle frontière province Sud/province Nord (voir l’article https://republiquefederalefrancaise.fr/2014/la-partition-de-la-nouvelle-caledonie/). Dans cette hypothèse de partition, les populations grande-terrienne et loyaltienne seraient incluses dans Kanaky, d’un côté la Grande-Terre avec ses réserves de nickel, de l’autre les Iles avec leurs réserves de langoustes… Devinez qui va gagner…
Connaissant la légendaire rivalité et inimitié entre ces 2 populations, on commence alors à mieux cerner, et même à comprendre l’initiative actuelle de la province des Iles. Les Iles Loyauté cherchent, dans cette perspective de partition, à se doter à l’avance d’outils de développement autonomes pour peser plus dans l’échange avec la Grande-Terre au sein de Kanaky, ou, mieux encore, pour faire sécession et devenir une nouvelle petite nation. Au demeurant, les Loyauté ne sont-elles pas plus grandes que Nauru ou Niué !!! Reste à trouver le nom…
Allez, Jacques, tu devrais prendre tes cachets…
(*) Jacques Zanehno Lalié, président de l’Assemblée de la Province des îles Loyauté depuis le 17 mai 2019.