(informations tirées de https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1989_num_76_284_2745)
Nous sommes sous le règne de Louis-Philippe 1er (Monarchie de Juillet – 1830-1848).
Le Conseil des Ministres du 7 janvier 1843 décide le principe que “la France renonce à la conquête de vastes territoires tout en maintenant ou développant un nombre suffisant d’établissements maritimes pouvant servir de points de relâche“.
L’amiral Guy-Victor Duperré, ministre de la marine et des colonies, considère que cet accord de principe du 7 janvier 1843 du Conseil des ministres l’autorise à faire entrer ce territoire lointain qu’est la Nouvelle Calédonie dans le réseau des territoires sous pavillon français. Il envoie le 20 janvier 1843 au contre-amiral Dupetit-Thouars, commandant en chef de la station navale de l’océan Pacifique, des instructions secrètes (on se méfie des espions anglais) en vue de parvenir à ce résultat à l’occasion du transport et de l’installation sur place de l’évêque d’Amata, Mgr Douarre, et de quelques missionnaires maristes. Mais les instructions précisent qu’il faudra s’assurer de l’accord préalable des chefs de l’île par la signature d’une déclaration de reconnaissance de souveraineté, en fait d’un acte d’allégeance, et dans ce cas le pavillon national pourra être confié à la garde du représentant de la mission mariste.
Bien que l’amiral Duperré démissionne quelques jours plus tard, le 6 février 1843, ses instructions secrètes relatives à la Nouvelle Calédonie ont été expédiées à Dupetit-Thouars qui en accuse réception le 21 juin 1843. Mais à Paris on s’interroge alors sur cette mission confidentielle dont, à cause du secret qui l’a entourée par crainte des espions britanniques, on ne retrouve trace nulle part.
Mgr Douarre et son équipe de missionnaires maristes étant arrivés à Nuku-Hiva le 16 octobre 1843, Dupetit-Thouars rédige, toujours dans le plus grand secret, une lettre de mission au capitaine de corvette Julien Laferrière, commandant de la gabarre “Le Bucéphale” pour accomplir le destin de la Nouvelle Calédonie.
Le Bucéphale appareille le 1er novembre 1843 et mouille le 20 décembre dans le havre de Balade, dans le Nord de la Nouvelle Calédonie. La présence à Balade de Kanaks originaires de l’île d’Ouvéa (Iles Loyauté, partie de l’archipel calédonien) parlant un langage kanak proche du wallisien, langage que comprend également un des missionnaires, le père Viard, facilitera les échanges avec les chefs kanaks.
Les échanges entre les nouveaux arrivants et les Kanaks sont fructueux et empreints d’amitié. Aussi le commandant Laferrière ouvre-t-il les discussions pour obtenir l’allégeance des chefs kanaks. Le père Viard explique longuement pendant plusieurs jours, avec force détails et images que les Kanaks peuvent comprendre, le sens et la portée de la reconnaissance de souveraineté que leur propose la France sur cette terre de Nouvelle Calédonie, que les Kanaks appellent “Terre d’Opao“.
Le commandant les réunit tous le 31 décembre 1843 à bord du Bucéphale où le père Viard reprend ses explications. La déclaration d’allégeance à la France, préalablement préparée en trois exemplaires, est alors allègrement signée par les chefs présents que l’on aide à former les lettres de leur nom, mais qui tiennent eux-mêmes la plume. Les 2 et 3 janvier suivant, c’est au tour du grand chef de Koumac, entouré des siens, de signer la déclaration d’allégeance. Puis, le 10 janvier 1844, ce sont les 3 fils de Tchapéa, grand chef de Bondé, dont son héritier présomptif, qui signent la déclaration au nom de leur père. Enfin le drapeau français est levé à la mission de Balade le dimanche 21 janvier 1844. Le Bucéphale lève l’ancre le 22 janvier.
Voici le texte de l’acte qui a été signé le 31 décembre 1843, auquel ont ensuite été ajoutées les signatures des 3 et 10 janvier 1844:
TRAITE D’ALLÉGEANCE DE LA NOUVELLE CALÉDONIE A LA FRANCE DU 1er Janvier 1844
(entre la France et les rois et chefs kanaks)
« Nous, chefs de l’île Opao savoir : Pakili-Pouma, roi du pays de Koko ; Paiama, chef du pays de Balade ; Dolio, frère du roi de Koko ; Toe, frère du roi de Koko ; Goa-Pouma, frère du chef de Balade, ainsi que Tiangou et Oundo, Teneondi-Tombo, roi de Koima et ses frères, Chopé-Meaou, Oualai et Ghibal ; au nom du roi de Boudé, ses fils Dounorma-Tebapea, Cohin et Houangheno ; par devant les soussignés, commandant et officiers de la corvette française le Bucéphale, déclarons : Que, voulant procurer à nos peuples les avantages de leur réunion à la France, nous reconnaissons, à dater de ce jour, la souveraineté pleine et entière de Sa Majesté le Roi des Français Louis-Philippe 1er et de son Gouvernement, plaçant nos personnes et notre terre d’Opao sous leur haute protection vis-à-vis de toutes les autres puissances étrangères, et adoptons pour nôtre le pavillon français, que nous jurons de faire respecter par tous les moyens en notre pouvoir. »
(suivent les signatures des dénommés ci-dessus. Le commandant du Bucéphale, Julien La Ferrière, Charles Pigeard J. Trouhat, Lamotte, Heurtault, Gerin-Roz, de Drée, A. Chamois – Recueil des Traités de la France, par M. de Clercq, sous les auspices du ministère des Affaires Étrangères).
(la “prise de possession” s’est faite, quant à elle, près de 10 ans plus tard, le 24 septembre 1853, également à Balade).
Même si à Paris on s’est interrogé et on a tergiversé sur les suites à donner à la signature de cet acte d’allégeance, du point de vue calédonien cet acte a toutes les formes de l’authenticité et de la légalité:
- le commandant du Bucéphale était, dans les circonstances de l’acte, le représentant légal de la France, muni d’instructions claires de sa hiérarchie;
- Les chefs kanaks étaient légitimement habilités à engager leur communauté;
- La France n’a jamais, à aucun moment, dénoncé la signature de cet acte en son nom, ni auprès des populations locales, ni en droit interne français, ni même en droit international.
Au cours de la préparation de la signature de l’acte il y a eu de longues et claires explications sur son sens, sa portée et ses implications. La signature de l’acte s’est faite en toute transparence et, en particulier, il n’y a eu ni contrainte ni intimidation.
Compte tenu des circonstances, de la qualité et de la situation des parties, cet acte constitue à leur égard, ainsi qu’à l’égard de la communauté internationale, un acte parfaitement valide que l’on peut qualifier de “traité d’allégeance“.
L’acte de prise de possession ultérieur du 24 septembre 1853 ne peut donc être regardé que comme la confirmation de l’acte originel des 31 décembre 1843 et des 3 et 10 janvier 1844.
Aussi nous proposons que la date du 24 septembre pour célébrer la Fête Calédonienne soit abandonnée au profit de celle du 10 janvier, date à laquelle – 10 janvier 1844 – toutes les signatures de l’allégeance avaient été recueillies.